Obscène intimité

Obscène intimité

Lu 416 fois
Amour, PhiloSex

07 Jul 21

D’aucuns disent, avec Roland Barthes, que l’intimité de nos sentiments a remplacé le sexe sur la scène de l’obscénité.

« L’impôt moral décidé par la société sur toutes les transgressions frappe encore plus aujourd'hui la passion que le sexe. Tout le monde comprendra que X... ait d'énormes problèmes avec sa sexualité; mais personne ne s'intéressera à ceux que Y... peut avoir avec sa sentimentalité : l'amour est obscène en ceci précisément qu'il met le sentimental à la place du sexuel. » 😬
Roland Barthes, Fragments d'un discours amoureux, Paris, éd. du Seuil, 1977, p.211.
Etymologiquement, obscénité est composé du préfixe ob évoquant l’idée d'opposition, d'obstacle, et scène, ce qui est montré. Ce serait donc l’envers du décor, ce qu’on ne devrait pas voir. D’ailleurs Nagisa Oshima nous dit en ces termes que « Rien de ce qui est exprimé est osé, ce qui est obscène, c’est ce qui est caché. »
C'est à se demander si finalement c'est l'intimité ou le sexe qui est le plus tabou…
Grâce à l’éducation, l’ouverture d’esprit, les applications en ligne qui facilitent les rencontres, l’accès au sexe est devenu relativement aisé et la sexualité est sortie de ses tranchées interdites. Après, on est plus ou moins aventureux, mais il est convenu que chacun voit ses limites là où il le souhaite et qu’elles ne regardent personne.

En revanche, je mesure combien il est difficile d'exposer mes sentiments dans une relation en passe de s’engager : qu'est-ce que je ressens quand je suis sur le point de dire je t'aime, sur le point de lui avouer tu me manques… ou encore tu comptes.
De la fragilité ? J’ouvre une porte sans filtre vers mon intérieur ? Est-ce de la vulnérabilité ? Et si jamais il me dit qu'il ne m'aime pas ? Ou pire, s’Il ne disait rien. Frustration ? Honte ? Humiliation, diable !
Quand on y pense, c’est absurde : comment le fait de ne pas rencontrer de sentiments semblables aux siens peut-il être humiliant ? Cela sous-entendrait que l’autre sûrement sera cruel, se moquera, tout disposé qu’il est à remuer le couteau dans la plaie de mon amour non assouvit. Il est sûr qu’au moment où je m'expose, je ne sais pas ce que je vais trouver en face.
Mon postulat n’est pas neutre, mais pessimiste : la crainte que l’autre ne partagera pas l’intensité ou l’intention de mes sentiments, et qu’en plus il se rira de moi. Je préfère me refermer comme une huitre, alors que la probabilité inverse (celle qu’il m’aime 😍) est tout aussi valable.
De plus, l’angoisse d’essuyer un revers procède de mon manque de confiance en la bienveillance de l'autre à accepter mon sentiment d’amour, avec ou sans retour, mais néanmoins avec générosité.
En tous cas, l’aveu de mes sentiments est l’annonce de la fin d’une illusion. Je veux l’éviter en ne m’ouvrant pas. Je considère que mon amour rêvé et projeté est plus rassurant que l’amour réel et je l’érige au rang de réalité.

Donc notre intimité amoureuse n’est obscène que lorsqu’elle reste cachée, retenue : la pudeur des sentiments ne relève ainsi pas d’une inconvenance, d’une obscénité, mais de la crainte d’exposer notre blessure d’amour, cette plaie toujours ouverte qu’on pense que seul l’autre saura panser.
Mais si je comprends que je suis le seul à pouvoir me donner suffisamment d’amour pour soigner cette plaie, alors je peux aussi exprimer mes sentiments sans crainte 🤗.


Ils en parlent :

Fragments d'un discours amoureux-Roland Barthes
Love What Is - Katie Byron
El fin del sufrimiento - Borja Vilaseca

Un mot à dire ?

Recevoir par email les réponses à ce fil de discussion    

Anti-Spam : Inscrire 416 dans la case